Côte d'Or - Saint Seine l'Abbaye
incarné.
(texte et images)
Dans la Quête naturaliste, il en va souvent de l’abnégation
opiniâtre, de l’investissement de longue haleine avant
d’atteindre l’Observation tant espérée : repérages préalables,
bredouilles qui s’enchaînent, nuits écourtées par les réveils
matinaux et les couchers tardifs, longues heures d’affûts
investies dans l’attente d’une rencontre fugace...
Mais il en va parfois d’un tout autre mode,
celui du coup de chance, de la généreuse
facétie de la Nature, qui vous offre sur un
plateau l’improbable rendez-vous avec la
félicité naturaliste. On est alors pas loin de
penser qu’il existe une sorte de Karma-des-
Hommes-des-Bois, une balance cosmique qui
additionne le temps passé et les échecs, pour
les payer en retour de quelques secondes d’une
récompense naturaliste tant attendue, voire
inespérée. Dit d’une façon triviale, parfois,
« la Nature paye son coup ! ».
Une variante de cette approche mystique
noterait également que les rencontres
naturalistes exceptionnelles ont souvent lieu à
contre-temps de vos espérances, là où vous
vous y attendez le moins : venu pour un affût
aux vautours, vous tombez sur un Engoulevent
au nid ; en quête de la Loutre, vous marchez
sur une Belette ; le Gypatète barbu passe sous
votre nez alors que vous espériez le
Bouquetin ; une simple randonnée matinale
dans le Vercors vous plonge au cœur de l’arène
de parade des Tétras lyres...
Ce fut mon cas, en cette aurore dominicale de début d'été sur
le Mont Lozère, lors d'un face-à-face magique avec le loup qui
hante ces contrées......ainsi que les rêves les plus fous de
nombreux naturalistes.
Venu en ces lieux avec quelques amis pour un bivouac
improvisé sous la pleine lune et une soirée jeu, l’ambition ne
portait en aucun cas sur la rencontre sauvage, encore moins
celle de « la Bête ». Quelques cervidés, peut-être un vautour
ou un Aigle royal, tels étaient les éventuels bonus naturalistes
que j’envisageais dans mon fort intérieur.
Pour enfoncer le clou de l’improbabilité du contexte, notons
que cette soirée bivouac n’était pas prévue dans notre
programme du week-end, la nuit du samedi partant pour être
classiquement casanière, repliée sous la couette dans le
confort douillet d’un lit à sommier.
Décidé à seize heures à l’initiative de Yannick (qu’il en soit à
jamais remercié !), ce bivouac prit forme sur les berges du
Tarn (modeste petite rivière de montagne en ce lieu situé à
quelques encablures de sa source), aux alentours de vingt
heures trente en ce samedi 4 Juillet.
Hypnotisés par une pleine lune à son apogée, nous ne
gagnerons les duvets que très tardivement. Pris dans une
ambiance de sociabilité humaine, je n’aurai même pas pris le
temps de sortir les jumelles de toute la soirée.
En cette période proche de l’Equinoxe, les nuits sont
particulièrement courtes. La franche lumière de l’aurore
matinale (et peut-être la sensation intérieure d’une urgence
imminente ?) m’a tiré de mon sommeil beaucoup plus
précocement que mes comparses, dispersés dans les buissons
alentours. Les humains encore endormis, il était temps de
profiter de ces quelques instants où la Nature appartient
encore pleinement à ses habitants si discrets en journée.
Sous le vent du Nord à cinq heures quarante cinq et mille trois
cents mètres d’altitude, il ne me fallut que quelques secondes
pour sortir du duvet puis enfiler jumelles et appareil photo.
A peine cinq minutes plus tard et à quelques dizaines de
mètres de notre campement, me voici en lisière de bois, les
jumelles aux yeux, le corps instantanément réveillé par la
fraîcheur matinale, mais l’esprit encore tout embrumé par une
nuit trop courte.
Comme à l’accoutumée, je m’offre d’abord un rapide balayage
panoramique du paysage qui s’ouvre devant moi, de la même
façon que nous envisagerions du regard les différents invités
d’une soirée au seuil d’une salle des fêtes. En y réfléchissant à
posteriori, j’espérais croiser les couleurs rougeoyantes du
pelage de cervidés qui dénotent aisément dans le dégradé de
vert des landes à genêts estivales.
Mon mouvement circulaire bute alors sur une ombre grise qui
file au rembûcher entre les blocs de granit, à environ deux
cents mètres au Nord. Mon cœur rate un battement, se fige
puis repart au grand galop alors que mon esprit s’échauffe
dangereusement : se peut-il que ce soit Lui ?! Cette vision tant
de fois espérée, visualisée comme dans un rêve-éveillé,
fantasmée au détour de chaque buisson est-elle – enfin ! - en
train de s’incarner réellement ?
Depuis six années passées en Lozère, venu dans ce
département pour travailler sur cet animal,
je n’avais jamais réellement imaginé pouvoir le croiser
effectivement, trop conscient de
l’implacable faiblesse des probabilités de rencontre dans ce
territoire immense, sauvage et
accueillant moins d’une poignée d’individus très erratiques et
extraordinairement discrets.
Mais revenons à ce moment.
Le corps fonctionne alors instantanément de manière
autonome : l’exposition du reflex et le cadrage des images sont
définis sans même s’en apercevoir et l’obturateur claque d’une
façon qui me paraît plus frénétique qu’à l’accoutumée. Alors
que dans le même temps, l’esprit cherche rationnellement à
confirmer les critères de reconnaissance de l’espèce, dans une
réminiscence de doute scientifique qui vise surtout à contenir
l’emballement des émotions et à s’assurer de la réalité du
spectacle qui s’offre à moi.
En s’arrêtant quelques instants en lisière du bois, cet animal, de
sexe mâle de toute évidence, m’offre généreusement une
prolongation de cet instant hors du temps, relevant plus de
l’apparition divine onirique que de l’observation naturaliste
concrète.
En une poignée de secondes, il plonge sous les frondaisons, me
laissant tremblant et incrédule :
tout cela a-t-il bien eu lieu ?
De nouveau poussé par une petite voix intérieure
– était-ce celle de ma bonne étoile ? de la Nature
qui me
regardait maternellement déballer mon cadeau ? Dans le
domaine naturaliste, il ne faut jamais rester sourd à ces
sensations métaphysiques.
Je me rappelle qu’une piste forestière longe cette lisière,
permettant peut-être de recroiser ce Loup dans son périple
matinal vers son refuge diurne.
Le fort vent du Nord étant favorable à une telle approche, je
rejoins cette piste à pleines enjambées.
Quelques cinq cents mètres plus loin, la piste forme un coude
et s’ouvre sur une petite zone de pré-bois située en lisière du
Tarn et permettant de rejoindre les prairies d’estive. Je m’y
engage alors, poussé par un sens du vent toujours favorable, la
promesse d’une visibilité facilitée dans ces espaces ouverts…
et, peut-être là encore, une force supérieure et
transcendante.
Environ dix minutes se sont écoulées depuis la rencontre,
quand j’arrive, à pas de loup (sic !), sur les berges du Tarn
situées en lisière de bois.
Et là… Il apparaît de nouveau ! En plein travers, à environ
quatre-vingts mètres, dans la prairie face à moi. Le soleil
bientôt levé augmente la lumière incidente, les ISO « tombent
» et les photos pourront être de meilleure qualité.
A bon vent, tapi dans l’ombre d’un hêtre lui aussi placé là par
la Providence, l’observateur ne sera jamais découvert par le
loup,qui n’aura à aucun moment tourné le tête dans ma
direction.
A ce moment, sa démarche n’est plus celle d’un animal pressé
de rentrer à couvert, mais celle d’un jeune chien facétieux,
qui trottine gaiement, tête haute, gueule ouverte et œil
alerte, dans la direction de quelque chose située sur la droite.
Le Loup, disparaissant derrière un arbre, m’oblige à me
déplacer de quelques mètres pour me dégager la vue. C’est
alors que je comprends l’objet de ce changement de
comportement, l’objet de son désir : une petite harde de trois
biches et trois faons en livrée est en train de détaller face à
l’arrivée du prédateur.
Même découvert par la vigilance des biches, celui-ci plongera à
leur suite dans les genêts, au petit trot, probablement
conscient de ses faibles chances de capture mais peut-être lui
aussi poussé par l’espoir de l’Improbable.
Encore quelques clichés de ses oreilles rousses et la lande
finira par l’avaler, le cachant définitivement à ma vue.
Malgré les quarante-cinq minutes suivantes passées dans le
secteur, je finis par me résoudre au caractère mensonger de
l’adage « jamais deux sans trois » : le Loup ne m’offrira pas de
troisième Acte aujourd’hui.
Il est impossible de formuler à quel point
cette seconde rencontre était encore plus
improbable que la première, de mesurer les
trésors de chance amalgamés pour offrir une
telle perfection de scénario. Le voir une fois à
longue distance pendant cinq secondes relève
déjà de la chimère, mais réussir à le
« recouper », au moment parfait, à plus de
cinq cents mètres de distance de la première
rencontre, est tout bonnement impossible !
Et dire que la veille, en décidant du bivouac,
j’avais dit tout haut, mais sans vraiment
y croire : « Je prends toujours mon
appareil photo ! On ne sait jamais, imaginez
qu’on tombe sur le Loup du Mont Lozère... »
Sébastien Dambrun
Quelque part sur le Mont Lozère (48)
dimanche 5 juillet 2020
Photos et vidéo : Nikon D500 et Nikkor 300 mm f/4 PF, ER, VR
10 000 ISO pour la première observation
400 ISO pour la seconde
►Cette observation a fait l’objet d’une fiche de relevé
d’indices adressée au Réseau Loup-Lynx de l’Agence
Française pour la Biodiversité (AFB) pour validation.
L’identification de l’espèce a été authentifiée comme
certaine par retour le 8 Juillet 2020.
Christiane
14.07.2020 11:00
magnifique ! tant de patience enfin récompensée, c'est beau comme le texte qui accompagne cette expérience.
Antoine D.
08.07.2020 19:05
Bravo pour les images et les commentaires qui nous plongent dans cette scène magnifique !
Philippe
08.07.2020 13:43
Nondidju!!! Voilà de bien belles images et un beau texte!!! La vidéo est avec le même appareil que les photos ?
François T
Bravo Seb et merci pour ce récit haletant.
Dominique Meffray-Daval
veinard! merci Sébastien
Sébastien D.
08.07.2020 13:34
08.07.2020 13:15
08.07.2020 12:05
Merci pour vos retours et pour l'intérêt porté à cette bafouille. Tout le plaisir est littéralement pour moi
J'en profite : le Réseau Loup vient de confirmer cette observation, c'est bien un Loup.
Sylvie
08.07.2020 09:48
Que dire après un tel récit ?
Simplement: merci Sébastien !
(Et merci Jean Pierre pour le partage.)
Thierry
08.07.2020 07:34
superbe récit Sébastien, bravo de faire partager un si rare moment de bonheur !
Derniers commentaires
15.08 | 10:12
Bonjour Marie Christine. Nous vendons la maladière et arrivons bientôt à Mâlain, 4 rue du Pont. Grand plaisir de vous revoir en mâlinois.
15.08 | 09:27
Dans votre futur(très proche !!!) terrain, il ne sera pas difficile d'en installer une...Je pourrai vous indiquer les techniques si vous le souhaitez. A bientôt
15.08 | 09:06
Incroyable le nombre d'animaux autour de ta souille. Mais c'est pas facile d'en trouver une. Je suis sur la piste d'un groupe de castors et j'espère que la canicule ne les aura pas chassés.
10.10 | 14:58
Merci beaucoup Sylvie. J'aime quand la maîtresse me gratifie d'une appréciation très positive...Cette semaine, début de l'expo à St Seine : plus de 100 photos et autant de vidéos.